Terra-Nova, de vrais problèmes et de mauvaises solutions

Publié le par Arnaud DROUOT

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Terra-Nova, laboratoire d'idée proche du PS vient de publier un essai intitulé "Quelle majorité électorale pour 2012". Rapport salutaire pour certains, brûlot social-traitre pour d'autres, il y est fait une analyse sociologique du vote de gauche en France et dans le monde avec 2012 comme horizon.

 

Pour faire court, le rapport dresse plusieurs constats sur le vote de gauche à partir de deux types de données : la configuration social-démographique et les attentes idéologiques. Côté statistiques INSEE donc, le vieillissement de la population, la diminution du nombre d'ouvriers et le délitement du sentiment appartenance à une classe ouvrière, surtout dans le secteur tertiaire, n'est pas de nature à encourager le vote de gauche. A l'inverse, les jeunes, les femmes, les précaires, les diplômes et les français ayant des parents nés à l'étranger seraient eux plus attirés vers le vote de gauche. Selon Terra-Nova, les attentes idéologiques des ouvriers (les "In") sont portées vers les propositions sociaux-économiques (pouvoir d'achat, emploi) alors que les seconds (les "out") sont eux attirés par notre programme sociétal fait de culture, de légalisation du cannabis et de mariage homosexuel. Je caricature un peu, on parle dans le rapport de "valeurs culturelles progressistes". A l'inverse, les ouvriers sont réac' eux et veulent entendre parler sécurité, ils ont un CDI et ont peur du déclassement. Du coup, et c'est la conclusion de Terra-Nova, adieux les revendications sociaux-économiques, aurevoir classe ouvrière qui va trouver au FN cette double aspect social-réac' et bonjour les jeunes diplomés ché-bran : la "France de demain".

 

Que penser de ce rapport ? La nano-cosme (subdivision du microcosme) politique est en ébullition. Le Front-National jubile, condamnant déjà le PS pour délit d'abandon des classes populaires et une certaine partie de la gauche dénonce un rapport de sociaux-traitres.

http://img.over-blog.com/299x288/0/29/68/95/naissance/Sorci-re-tambouille.jpgSur la forme, un doc' de sociologie politique, c'est jamais politiquement-correct. Nettement moins poétique qu'un texte d'orientation ou qu'une déclaration de valeurs, ça fait très tambouille politique, on utilise des préjugés après chaque virgule, on appel un chat qui vote à gauche, un chat qui vote à gauche et on est pas à quelques holismes près. Effectivement, on y fait des raccourcis : je doute que les ouvriers qui avaient 20 ans en 68 soient de gros réac' et que le jeune qui vient de commencer son 8ème stage depuis la fin de son Master n'est pas intéressé par nos propositions sociaux-économiques. Néanmoins, je fais relativement confiance aux éminences grises pour dresser un constat pas très éloigné de la réalité, se rapprochant de ce que le militant vit sur le terrain (qui comme la terre, ne ment pas, pas vrai ?). On a effectivement plus tendance à être interpellé sur l'augmentation des salaires et le pouvoir d'achat à la sortie d'une usine qu'à l'entrée de la Fac, et on nous parle plus de laicité dans un café-débat devant sciences po que dans une manif du 1er mai. Moi même, jeune et diplomé j'avoue avoir un certain penchant naturel sur les propositions sociétales, sans pour autant renier mon ancrage économique à gauche.
N'étant pas né de la dernière pluie (et toi aussi, si t'as atterri sur ce blog) je ne vais pas tenter de mimer la vierge effarouchée, ce type de document existe et repose sur une démarche rigoureuse. Il peut être lu et analysé sans pour autant devenir l'alpha et l'omega du fonctionnement démocratique et de la doctrine politique. Ce rapport a le mérite d'exister et d'être public, là où il circule  normalement dans l'univers feutré des directions de campagne et autres collaborateurs de cabinet. Pourquoi le publier ? Grande sincérité frôlant la naiveté, offensive idéologique d'une gauche qu'on appelait il y a encore quelques années la gauche "troisième voie" ou simple raté, faute, bourde ? A vous de juger ...

 

Car c'est sur le fond et ses conclusions que ce rapport devient vraiment problèmatique : confondre cause et conséquence, idéologie et stratégie et de se draper dans une posture de renoncement. Si on souhaite le vote ouvrier, il faut renoncer à nos propositions sociétales devenir des "sociaux-populistes", si on veut la "france de demain", parlons valeur et oublions un peu l'économie. La belle affaire.
J'ai déjà un problème sur la sémantique. L'ouvrier réac contre "la France de demain", désolé, mais on est plus dans le rapport sociologique mais on veut me vendre un concept, une position, un positionnement. On rajoutera trois salades, deux tomates, 500gr de classe moyenne en tranche et un demi litre de bobo, et on l'aura notre majorité.

Ok pour appuyer sur les "out", ces jeunes, femmes et français d'origines étrangères qu'il va falloir mobiliser, on est tous d'accord la dessus : c'est une grande partie de l'enjeux de 2012. Mais doit-on nécessairement pour cela renoncer à nos fondations idéologiques et à notre positionnement social et économique ?

Car le coeur du problème concerne les conclusions et les solutions : le renoncement. "Ce qui a été sera". Comme si les centaines d'heures qu'on va être quelques milliers à passer en réunion publique, sur les marchés, en porte à porte, au bar avec des potes, dans le bus avec son voisin, dans la rue, à la sortie des facs ou à la pause clope au boulot, ça sera simplement pour brosser l'électeur dans le sens du poil. Le convaincre ? Vous n'avez pas idée ! Pourquoi ne pas faire de l'éducation populaire tant qu'on y est. Pourtant c'est ça aussi le rôle du militant politique : faire de l'éducation populaire, éveiller les consciences, sortir du prêt à vendre penser, être formé et informé sur l'ensemble de notre idéologie et de nos engagements, sociaux, économiques et sociétaux.

Désolé Terra, mais je pense qu'on peut convaincre les ouvriers que le progrès sociétal, c'est bien et les classes moyennes que le libéralisme économique, c'est mal. Encore faut il le vouloir. Hasard du calendrier (ou pas), le rapport sort le 10 mai. Allez, je caricature et grossit le trait à l'extrême : qu'aurait préconisé Terra-nova comme position sur la peine de mort il y 30 ans, si cela n'aurait pas été électoralement porteur ? Qu'aurait-on du faire si notre "socle électoral" était opposé à l'abolition ? Jusqu'où brader l'idéal pour mieux le marketiser ?

 

Petit plaisir perso, la lecture (et l'écoute) de deux grands. Mitterrand d'abord, sur les sondages et la stratégie électorale.

 

 

 

 

 

Pas plus sur cette question que sur les autres je ne cacherai ma pensée. Et je n'ai pas du tout l'intention de mener ce combat à la face du pays en faisant semblant d'être ce que je ne suis pas. Dans ma conscience profonde, qui rejoint celle des églises, l'église catholique, les églises réformées, la religion juive, la totalité des grandes associations humanitaires, internationales et nationales, dans ma conscience, dans le for de ma conscience, je suis contre la peine de mort. Et je n'ai pas besoin de lire les sondages, qui disent le contraire, une opinion majoritaire est pour la peine de mort. Eh bien moi, je suis candidat à la présidence de la République et je demande une majorité de suffrages aux Français et je ne la demande pas dans le secret de ma pensée. Je dis ce que je pense, ce à quoi j'adhère, ce à quoi je crois, ce à quoi se rattachent mes adhésions spirituelles, ma croyance, mon souci de la civilisation, je ne suis pas favorable à la peine de mort.

 

 

 Léon Blum ensuite qui fustige le renoncement et fait de la conquête, de l'ouverture des possibles, un des éléments essentielles de la doctrine socialiste.

 

 

 

 

"On est socialiste à partir du moment où l’on se refuse à accepter la figuration actuelle des faits économiques comme nécessaire et éternelle, à partir du moment où l’on a cessé de dire : bah ! c’est l’ordre des choses, il en a toujours été ainsi et nous n’y changerions rien. A partir du moment où l’on a senti que ce soit disant ordre des choses était en contradiction flagrante avec la volonté de justice, d’égalité, de solidarité qui vit en nous".

Publié dans Le poing (j'aime pas)

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